<57>Je ne crois pas qu'il y ait de démonstration proprement dite de l'existence de cet Être indépendant de la matière. Je me souviens que je ne laissais pas, en Angleterre, d'embarrasser un peu le fameux docteur Clarke, quand je lui disais : On ne peut appeler démonstration un enchaînement d'idées qui laisse toujours des difficultés. Dire que le carré construit sur le grand côté d'un triangle est égal au carré des deux autres côtés, c'est une démonstration qui, toute compliquée qu'elle est, ne laisse aucune difficulté. Mais l'existence d'un Être créateur laisse encore des difficultés insurmontables à l'esprit humain. Donc cette vérité ne peut être mise au rang des démonstrations proprement dites. Je la crois, cette vérité; mais je la crois comme ce qui est le plus vraisemblable; c'est une lumière qui me frappe à travers mille ténèbres.

Il y aurait sur cela bien des choses à dire; mais ce serait porter de l'or au Pérou que de fatiguer V. A. R. de réflexions philosophiques.

Toute la métaphysique, à mon gré, contient deux choses : la première, tout ce que les hommes de bon sens savent; la seconde, ce qu'ils ne sauront jamais.

Nous savons, par exemple, ce que c'est qu'une idée simple, une idée composée; nous ne saurons jamais ce que c'est que cet être qui a des idées. Nous mesurons les corps; nous ne saurons jamais ce que c'est que la matière. Nous ne pouvons juger de tout cela que par la voie de l'analogie; c'est un bâton que la nature a donné à nous autres aveugles, avec lequel nous ne laissons pas d'aller et aussi de tomber.

Cette analogie m'apprend que les bêtes, étant faites comme moi, ayant du sentiment comme moi, des idées comme moi, pourraient bien être ce que je suis. Quand je veux aller au delà, je trouve un abîme, et je m'arrête sur le bord du précipice.

Tout ce que je sais, c'est que, soit que la matière soit éternelle (ce qui est bien incompréhensible), soit qu'elle ait été créée dans le temps (ce qui est sujet à de grands embarras), soit que notre âme périsse avec nous, soit qu'elle jouisse de l'immortalité, on ne peut dans ces incertitudes prendre un parti plus sage, plus digne de vous, que celui que vous prenez de donner à votre âme,