<220>Il semble qu'il y ait un génie malin qui se plaise à confondre toutes les espérances des hommes, et à jouer avec la fortune des empires. Qui aurait dit, il y a quatre ans, aux Florentins : Ce sera un homme de l'Austrasie qui sera votre prince,b les eût bien étonnés.

On croit dans l'Europe que le système de Law en France avait fait couler dans les coffres du Régent tout l'argent du royaume; et je vois que cette opinion a passé jusqu'à V. A. R. Assurément elle est bien vraisemblable; mais le fait est que Law, qui était venu en France avec cinquante mille livres de bien, est mort ruiné, et que feu M. le duc d'Orléans est mort avec sept millions de dettes exigibles, que son fils a eu bien de la peine à payer.

Le vrai peut quelquefois n'être pas vraisemblable.a

Ce n'est pas que je croie que le génie plaisant qui bouleverse tout dans ce monde, et qui se moque de nous, fasse toute la besogne. Les puissances qui, par la suite des temps, par la guerre, par les mariages, etc., sont devenues plus fortes que leurs voisins, feront tout ce qu'il faudra pour les engloutir, comme le riche seigneur accable son pauvre voisin; et c'est là ce qu'on appelle grande politique; c'est là ce que votre âme adorable appelle grande injustice, grande horreur. Votre politique consiste à empêcher l'oppression. Tous les princes devraient avoir gravés sur la table de leur conseil et sur la lame de leurs épées ces mots par lesquels V. A. R. finit : « C'est un opprobre de perdre ses États, c'est une rapacité punissable d'envahir ceux sur lesquels on n'a point de droit.b » Ce sont là les paroles d'un grand homme, et le gage de la félicité de tout un peuple.

Il faut que V. A. R. pardonne une idée qui m'a passé par la tête plus d'une fois. Quand j'ai vu la maison d'Autriche prête à s'éteindre, j'ai dit en moi-même : Pourquoi les princes de la communion opposée à Rome n'auraient-ils pas leur tour? ne pourrait-il se trouver parmi eux un prince assez puissant pour


b François-Etienne de Lorraine, qui succéda à Jean-Gaston, grand-duc de Toscane, le 9 juillet 1737. Voyez t. II, p. 13.

a Boileau, Art poétique, chant III, v. 48.

b Voyez t. VIII, p. 30.