<200>

54. A VOLTAIRE.

Mai 1738.a

Mon cher ami, ce titre vous est dû, et par votre rare mérite, et par la sincérité avec laquelle vous me faites apercevoir mes fautes. Je suis charmé de votre critique; je corrigerai tous les endroits que vous avez marqués; je travaillerai comme sous vos yeux. Vos lumières et vos censures seront comme les canaux qui forment les jets d'eau; elles régleront l'essor de mon esprit; et, plus vous mettrez de sévérité dans vos critiques, plus vous augmenterez mes obligations.

Votre quatrième Épître est un chef-d'œuvre. Césarion et moi, nous l'avons lue, relue et admirée plus d'une fois. Je ne saurais vous dire à quel point j'estime vos ouvrages. La noble hardiesse avec laquelle vous débitez de grandes vérités m'enchante.

Au bord de l'infini ton cours doit s'arrêter.b

Ce vers est peut-être le plus philosophique qui ait jamais été fait. L'orgueil de la plupart des savants n'est pas capable de se ployer sous cette vérité. Il faut avoir épuisé la philosophie pour en dire autant.

Vous avez un talent tout particulier pour exprimer les grands sentiments et les grandes vérités. Je suis charmé de ces deux vers :

O divine amitié, félicité parfaite,
Seul mouvement de l'âme où l'excès soit permis!c

Je voudrais pouvoir inculquer cette vérité dans le cœur de tous mes compatriotes et de tous les hommes. Si le genre humain pensait ainsi, nous verrions une république plus parfaite et plus heureuse que celle de Platon.


a Il se peut que cette lettre n'ait été écrite qu'après la revue à laquelle Frédéric fait allusion dans le sixième alinéa.

b Quatrième Discours sur l'Homme. De la Modération en tout. Œuvres de Voltaire, édit. Beuchot, t. XII, p. 71.

c L. c., p. 76.