<175>c'est un sentiment que tous les hommes ont comme moi; c'est le principe invariable de notre conduite. Les plus outrés partisans de la fatalité absolue se gouvernent tous suivant les principes de la liberté. Or, je leur demande comment ils peuvent raisonner et agir d'une manière si contradictoire, et ce qu'il y a à gagner à se regarder comme des tournebroches, lorsqu'on agit toujours comme un être libre. Je leur demande encore par quelle raison l'auteur de la nature leur a donné ce sentiment de liberté, s'ils ne l'ont point; pourquoi cette imposture dans l'Être qui est la vérité même? De bonne foi, trouve-t-on une solution à ce problème? Répondre que Dieu ne nous a pas dit : Vous êtes libres, n'est-ce pas une défaite? Dieu ne nous a pas dit que nous sommes libres, sans doute, car il ne daigne pas nous parler; mais il a mis dans nos cœurs un sentiment que rien ne peut affaiblir, et c'est là pour nous la voix de Dieu. Tous nos autres sentiments sont vrais. Il ne nous trompe point dans le désir que nous avons d'être heureux, de boire, de manger, de multiplier notre espèce. Quand nous sentons des désirs, certainement ces désirs existent; quand nous sentons des plaisirs, il est bien sûr que nous n'éprouvons pas des douleurs; quand nous voyons, il est bien certain que l'action de voir n'est pas celle d'entendre; quand nous avons des pensées, il est bien clair que nous pensons. Quoi donc! le sentiment de la liberté sera-t-il le seul dans lequel l'Être infiniment parfait se sera joué en nous faisant une illusion absurde? Quoi! quand je confesse qu'un dérangement de mes organes m'ôte ma liberté, je ne me trompe pas, et je me tromperais quand je sens que je suis libre? Je ne sais si cette exposition naïve de ce qui se passe en nous fera quelque impression sur votre esprit philosophe; mais je vous conjure, monseigneur, d'examiner cette idée, de lui donner toute son étendue, et, ensuite, de la juger sans aucune acception de parti, sans même considérer d'autres principes plus métaphysiques qui combattent cette preuve morale. Vous verrez ensuite lequel il faudra préférer, ou de cette preuve morale qui est chez tous les hommes, ou de ces idées métaphysiques qui portent toujours le caractère de l'incertitude.

Mon second scrupule roule sur quelque chose de plus philoso-