<160>il résulte qu'on dit une contradiction lorsqu'on soutient que Dieu peut donner la liberté à l'homme.

2o L'homme pense, opère des mouvements, et agit, j'en conviens, mais d'une manière subordonnée aux inviolables lois du destin. Tout avait été prévu par la Divinité, tout avait été réglé; mais l'homme, qui ignore l'avenir, ne s'aperçoit pas que, en semblant agir indépendamment, toutes ses actions tendent à remplir les décrets de la Providence.

On voit la Liberté, cette esclave si fière,
Par d'invisibles nœuds dans ces lieux prisonnière;
Sous un joug inconnu, que rien ne peut briser,
Dieu sait l'assujettir sans la tyranniser.b

3o Je vous avoue que j'ai été ébloui par le début de votre troisième objection. J'avoue qu'un Dieu trompeur, issu de mon propre système, me surprit; mais il faut examiner si ce Dieu nous trompe autant qu'on veut bien le faire croire.

Ce n'est point l'Être infiniment sage, infiniment conséquent, qui en impose à ses créatures par une liberté feinte qu'il semble leur avoir donnée. Il ne leur dit point : Vous êtes libres, vous pouvez agir selon votre volonté; mais il a trouvé à propos de cacher à leurs yeux les ressorts qui les font agir. Il ne s'agit point ici du ministère des passions, qui est une voie entièrement ouverte à notre sujétion; au contraire, il ne s'agit que des motifs qui déterminent notre volonté. C'est une idée d'un bonheur que nous nous figurons, ou d'un avantage qui nous flatte, et dont la représentation sert de règle à tous les actes de notre volonté. Par exemple, un voleur ne déroberait point, s'il ne se figurait un état heureux dans la possession du bien qu'il veut ravir; un avare n'amasserait pas trésor sur trésor, s'il ne se représentait pas un bonheur idéal dans l'entassement de toutes ses richesses; un soldat n'exposerait point sa vie, s'il ne trouvait sa félicité dans l'idée de la gloire et de la réputation qu'il peut acquérir; d'autres dans l'avancement, d'autres dans des récompenses qu'ils attendent; en un mot, tous les hommes ne se gouvernent que par les idées qu'ils ont de leur avantage et de leur bien-être.


b La Henriade, chant VII, v. 289-292.