<118>J'ai peu de mérite et peu de savoir; mais j'ai beaucoup de bonne volonté, et un fonds inépuisable d'estime et d'amitié pour les personnes d'une vertu distinguée; et avec cela je suis capable de toute la constance que la vraie amitié exige. J'ai assez de jugement pour vous rendre toute la justice que vous méritez; mais je n'en ai pas assez pour m'empêcher de faire de mauvais vers. Vous recevrez de ces mauvais vers en assez bon nombre par le dernier paquet que je vous ai adressé.a La Henriade et vos magnifiques pièces de poésie m'ont engagé à faire quelque chose de semblable; mais mon dessein est avorté, et il est juste que je reçoive le correctif de celui d'où m'était venue la séduction.

Rien ne peut égaler la reconnaissance que j'ai de ce que vous vous êtes donné la peine de corriger mon ode. Vous m'obligez sensiblement par là; aussi ne saurais-je assez me louer de votre généreuse sincérité.b Mais comment pourrais-je remettre la main à cette ode, après que vous l'avez rendue parfaite? et comment pourrais-je supporter mon bégayement, après vous avoir entendu articuler avec tant de charmes?

Si ce n'était abuser de votre amitié et vous dérober de ces moments que vous employez si utilement pour le bien du public, pourrais-je vous prier de me donner quelques règles pour distinguer les mots qui conviennent aux vers, de ceux qui appartiennent à la prose? Despréaux ne touche point cette matière dans son Art poétique, et je ne sache pas qu'un autre auteur en ait traité. Vous pourriez, monsieur, mieux que personne, m'instruire d'un art dont vous faites l'honneur, et dont vous pourriez être nommé le père.

L'exemple de l'incomparable Émilie m'anime et m'encourage à l'étude. J'implore le secours des deux divinités de Cirey pour m'aider à surmonter les difficultés qui s'offrent dans mon chemin. Vous êtes mes lares et mes dieux tutélaires, qui présidez dans mon Lycée et dans mon Académie.


a La phrase commençant par « Vous recevrez, » omise dans l'édition de Kehl, est tirée des Œuvres posthumes, t. VIII, p. 275 et 276.

b La fin de cette phrase, depuis « par là, » omise dans l'édition de Kehl, est également tirée des Œuvres posthumes, t. VIII, p. 276.