<116>personne, puisque peu de personnes peuvent avoir pour vous autant d'estime que j'en ai, et que, quand même on aurait toute cette estime, on n'aurait pourtant pas toute la reconnaissance avec laquelle je suis, monsieur, etc.

33. AU MÊME.

Remusberg, 19 novembre 1737.

Monsieur, je n'ai pas été le dernier à m'apercevoir des langueurs de notre correspondance. Il y avait environ deux mois que je n'avais reçu de vos nouvelles, quand je fis partir, il y a huit jours, un gros paquet pour Cirey. L'amitié que j'ai pour vous m'alarmait furieusement. Je m'imaginais ou que des indispositions vous empêchaient de me répondre, ou quelquefois même j'appréhendais que la délicatesse de votre tempérament n'eût cédé à la violence et à l'acharnement de la maladie. Enfin j'étais dans la situation d'un avare qui croit ses trésors en un danger évident. Votre lettre vient sur ces entrefaites; elle dissipe non seulement mes craintes, mais encore elle me fait sentir tout le plaisir qu'un commerce comme le vôtre peut produire.

Être en correspondance, c'est être en trafic de pensées; mais j'ai cet avantage de notre trafic, que vous me donnez en retour de l'esprit et des vérités. Qui pourrait être assez brute ou assez peu intéressé pour ne pas chérir un pareil commerce? En vérité, monsieur, quand on vous connaît une fois, on ne saurait plus se passer de vous, et votre correspondance m'est devenue comme une des nécessités indispensables de la vie. Vos idées servent de nourriture à mon esprit.

Vous trouverez, dans le paquet que je viens de dépêcher, l'histoire du czar Pierre Ier. Celui qui l'a écrite a ignoré absolument à quel usage je la destinais. Il s'est imaginé qu'il n'écrivait que pour ma curiosité, et de là il s'est cru permis de parler avec toute la liberté possible du gouvernement et de l'État de la Russie.