81. DU MÊME.

Breslau, 4 septembre 1741.



Sire,

J'ai reçu vos vers admirables, et ceux dont vous honorez Voltaire, que j'ai d'abord fait partir,

Oui, ces beaux vers dont le sens prophétique
De Robinson nous fixe le destin;
Son maître et lui se trémoussent en vain
Pour nous montrer leur peu de politique.

V. M. fait parler à Nostradamus un langage bien spirituel, qu'on ne trouve pas dans les ouvrages que tout le monde lit et qu'on n'entend point.

La manière ironique dont il plaît à V. M. d'apostropher mon pauvre petit esprit n'est-elle pas antimorale?

Quoi! j'aurais tout l'esprit qu'on trouve en Silésie!
C'est de moi joliment se ficher de bon cœur,
Moi, qui n'aurai, pour mon malheur,
Jamais qu'un filet de génie,

comme le beau parleur dit, en parlant d'une sauce, un filet de vinaigre.

Votre esprit est comme un torrent
Qui s'étend et qui tout embrasse,
Et rien ne peut lui faire face,
Qu'il ne le renverse à l'instant.

Je n'ai de l'esprit que ce qu'il faut de goût à un honnête homme pour distinguer quel est le bon vin de Champagne. C'est <132>tout ce qu'il m'en faut. Je suis d'ailleurs à présent comme un économe qui ne sème point ses terres, faute de grain. V. M. est sur le point d'entrer en Bohême, et mon magasin d'esprit est à Berlin.

On dit que la lune ne luit
Que par secours de lumière empruntée;
Otez-lui le soleil, elle est ce qu'est la nuit,
Et l'on voit sa splendeur tout à coup éclipsée.

V. M. donne de la tablature à tous les politiques. Les partisans de la reine de Hongrie cherchent sur le visage du ministre saxon les effets de son voyage à l'armée. Il est fort pour l'artifice.

On ne peut découvrir en rien
Ce qui se passe dans son âme,
Car toujours un égal maintien
Cache adroitement ce qu'il trame.
Ce maintien jamais inégal
Est, dit-on, aussi nécessaire
Que jugement au sieur Voltaire,
Qu'œil de Jordan à l'hôpital.

Je demande en grâce à V. M. une œuvre de surérogation; c'est la continuation de ses bonnes grâces, que je tâcherai de mériter. J'ai l'honneur d'être, etc.