82. A M. JORDAN.

Camp de Reichenbach, 7 septembre 1741.

Ami, demain nous décampons;
Ni tous les saints ni le grand diable
Ne savent point où nous allons;
Mais vous, mon confident aimable,
Je vous apprends que nous ferons
Dans peu le siége désirable
Du fort de Neiss, que nous prendrons.
<133>Si la voix de la renommée
Vous informe dans vos cantons
Que notre florissante armée
Vainquit aux champs silésiens
Ces orgueilleux Autrichiens,
Que votre grande âme alarmée
Ne craigne pas pour mes destins.
Quiconque enchaîne la victoire
Doit, en en poursuivant le cours,
Sans peur sacrifier ses jours
Au laurier brillant de la gloire.
Si du sort l'éternelle loi
Précipite dans la nuit noire
L'ombre de votre ami, l'ombre de votre roi,
Qu'au moins le souvenir de cette ombre légère
Longtemps après ma mort vous soit récente et chère.

Je vais faire divorce pendant quelques jours avec les Muses; mais comme ce que nous allons faire à présent achève de nous assurer la tranquillité en Silésie, et que cette opération sert de base à nos quartiers d'hiver, j'en ai la réussite extrêmement à cœur.

Adieu, cher Jordan. Ne m'oublie pas, et sois bien persuadé de l'amitié que je conserverai toute ma vie pour messire Charles-Étienne. Ainsi soit-il!