33. AU MÊME.

Ruppin, 4 mars 1733.



Mon très-cher ami,

Je vous rends mille grâces des nouvelles que vous m'avez bien voulu communiquer, et pour vous rendre la pareille, je vous envoie ci-joint une lettre d'un anonyme où je ne comprends rien, et dont je ne ferai aucun usage. M. le Grand est arrivé ici très-mal satisfait de Sa Majesté, qui, à ce qu'il dit, a fort grondé contre Rohwedell, lui ayant dit qu'il s'habillait à la française, und er stecke mit mir unter einer Decke, und so lange er lebte, wäre er Herr, et qu'il l'enverrait à Spandow. Ce compliment a fort déplu à notre homme, qui est revenu ici souple, obligeant, poli et civil que c'est étonnant. Nous nous sommes divertis ici une couple de fois à nous masquer, et je crois que c'est cela qui a déplu au Roi, avec des contes que l'on fait sur le sujet de Rohwedell. A dire la vérité, je ne suis pas tout à fait au fait de ces affaires, et je ne comprends pas par quelle raison le Roi commence à gronder tout d'un coup, et pas tant sur moi que sur ces deux messieurs et leur air de petit-maître. Il a dit à la Reine qu'il se serait volontiers dispensé d'aller à Brunswic, mais qu'il ne s'était pas pu fier à ma conduite, dass ich ihm nicht wieder einen Streich gemacht hätte. Tout cela me fait croire que quelque bon ami m'ait joué quelque tour, ou plutôt à ces messieurs. Au bout du compte, j'ai la conscience fort nette de ce qui regarde le Roi, et si devant Dieu j'étais aussi frais de mes péchés, je crois <81>que j'y serais transporté vivant. Adieu, mon très-cher ami; je trouve tous les jours davantage que le monde est une drôle de chose, et que la grâce des grands est la chose du monde la plus variable. Un faux rapport, un rien, sont capables de détruire tous les services et toute l'application que l'on prend à s'insinuer auprès d'eux. Je chéris ma retraite, et je bénis le sort qui m'éloigne de la goutte, du monde de Berlin, et de toute cette clique dont la fausseté est la mère et dont la jalousie est le guide. Et ce que je crois, c'est que l'on a fait accroire au Roi que je voulais empiéter sur son autorité, et Dieu sait que l'on me fait grand tort, car une vie tranquille et paisible m'est beaucoup plus agréable que d'être chargé du poids des affaires. Je lui souhaite une longue vie, et je vous assure qu'en cela je dirai toujours comme feu le Dauphin, qui expliqua une fois dans le conseil les sentiments qu'il avait envers le grand Louis, son père. « Je souhaite, disait-il, que je puisse toujours l'appeler le Roi mon père, » ce digne fils voulant marquer par là que la vie de son auguste père lui était plus à cœur que la gloire du trône. Je finis, mon cher ami, ma lettre et mes réflexions, en vous assurant que l'amitié et l'estime que j'ai pour vous ne finiront qu'avec ma vie, étant avec une particulière considération et un sincère attachement, etc.

Frederic.

Je suis ravi de la bonne nouvelle que vous me mandez touchant une certaine personne de Vienne.