<96>Rien ne fléchit ce Dieu, ni le prix des offrandes,
Ni l'odeur des parfums; il est sourd aux demandes
Des mortels écrasés par ses cruels décrets.
Les voilà révélés, ces importants secrets :
Mylord, qu'importe donc la triste connaissance
De ce bras qui m'accable et cause ma souffrance,
Si la mort de mes maux peut seule me sauver?
Il est, il est des maux qu'un mortel doit braver;
La stoïque raison dont le flambeau m'éclaire
M'apprend à me roidir contre un malheur vulgaire,
A calmer le chagrin, à dissiper l'effroi
D'un désastre qui peut n'influer que sur moi.
On a vu des mortels dont l'âme peu commune
Foule aux pieds la grandeur, méprise la fortune,
D'un infâme intérêt déchire les liens,
Tranquille, inébranlable en perdant les faux biens,
Et dans sa décadence, aux trahisons en butte,
Oppose un front serein aux apprêts de sa chute.
Ne croyez pas, mylord, que j'emprunte le ton
De l'homme chimérique inventé par Platon :
Loin de vous étaler l'emphase scolastique,
C'est moi qui parle, instruit par ma dure pratique.
J'ai vu mes ennemis saccager mes États,
J'ai vu mes vœux trahis par le sort des combats,
Près de mes oppresseurs se sont rangés mes proches,
Sans m'emporter contre eux en de justes reproches;
J'ai vu souvent la mort prête à fondre sur moi,
Sans qu'un trouble secret m'ait fait pâlir d'effroi.
Dans nos calamités la commune épouvante
N'a pu rendre un moment ma constance flottante;
Le pouvoir absolu, le faste, la splendeur,
Étaient des objets vils pour mon superbe cœur.
Prêt à perdre cent fois la vie et mes provinces,
Le sort, qui contre moi réunit tant de princes,
N'a pu me rendre encore un objet de pitié;
Mais s'il touche aux saints nœuds que forme l'amitié,
Par cet endroit cruel, cher mylord, il m'accable.