<30>Je vis ce grand peintre de la nature,8
Ce bel esprit qui par ses vers divins
Illustra plus l'empire des Romains
Que les Césars n'ont pu par la victoire
En assurer la grandeur et la gloire.
C'est là, Jordan, chez ces illustres morts,
Que ton esprit de la nature entière
Approfondit l'essence et les ressorts,
Et prend si haut son vol et sa carrière.
J'estime fort tes soins laborieux
Et tes travaux profonds et studieux;
Mais, cher Jordan, te couvrant dans ta vie
De ces lauriers rares et précieux
Qui sur le Pinde excitent tant d'envie,
Dis-moi, Jordan, en es-tu plus heureux?
Comptons ici les peines qu'il faut prendre
Pour arriver à l'immortalité;
Et si tu gagne en t'efforçant d'apprendre,
Tu perds, Jordan, ta propre liberté.
Oui, tu te trompe, et ton orgueil préfère
Un vain encens, une vapeur légère
Au vrai bonheur, à la félicité,
Que tu pouvais, ayant le don de plaire,
Trouver chez nous, dans la société.
Comme l'on voit à la fin de l'automne,
Ayant payé ses tributs à Pomone,
La terre en paix respirer le repos :
Ainsi, Jordan, renonce à tes travaux,
Reviens chez nous, dans ce séjour paisible,
De l'amitié recueillir tout le fruit.
Assez longtemps par un travail pénible
Tu cultivas le champ de ton esprit;
L'étude enfin, crois-moi, devient nuisible,
Il faut parfois se donner du répit :
Tout se repose, et même la nature
Fait aux étés succéder les hivers;


8 Virgile.