<85>Et, poussant l'anglicisme insensément à bout,
Pour marque des progrès qu'il fit dans son voyage,
Il ne se pende un jour, à la fleur de son âge.
Si Paris le retient dans un hôtel garni,
Voyez son char superbe artistement verni,
Ses laquais chamarrés, ses festins, sa dépense,
Au cours, à l'opéra sa folle extravagance,
Et pour prix de ses soins, son bien en moins d'un an
Fricassé par Manon, perdu dans un brelan.
Après tant de plaisirs, tant de galanterie,
Que va-t-il faire enfin dans sa triste patrie?
Ce seigneur opulent qui prodiguait son bien,
Puni de ses excès, doit partout et n'a rien,
Et pour lui la fortune ayant tourné sa roue,
Sans laquais, sans carrosse, il trotte dans la boue;
Ses créanciers brutaux, par un arrêt fatal,
L'enverront dès demain crever à l'hôpital.
Mais Posthume, dit-on, doit vous charmer sans doute :
Ce père prévoyant choisit une autre route,
Son fils doit voyager en sage citoyen,
Il a pour conducteur un théologien;
Cet austère Mentor, guidant ce Télémaque,
Saura le ramener innocent vers Ithaque,
Et des séductions garantissant son cœur ...
Suffit, je vous entends; ce dévot gouverneur,
Brutalement savant, sans monde, sans manières,
Déplacé dans le siècle et manquant de lumières,
Aurait besoin lui-même, afin qu'on le souffrît,
D'un maître qui daignât raboter son esprit.
Que peut-il résulter de ce choix ridicule?
Le pupille encloîtré, tenu sous la férule
Par ce cuistre ombrageux de ce dépôt jaloux,
Gardé dans sa maison sous de doubles verrous,
De prisons en prisons voyageant par le monde,
De l'univers entier pourrait faire la ronde;
Il verrait tout au plus les dehors des cités,
Des enseignes, des murs et des antiquités.