<84>Et, l'univers entier en dût-il enrager,
Les nations verront promener par le monde
Ce fils, où tout l'espoir de leur maison se fonde.
Soit, qu'il voyage donc, s'il le faut, aujourd'hui :
Je l'attends de pied ferme à son retour chez lui :
Que sait-il? qu'a-t-il vu pendant sa longue absence?
A-t-il l'esprit de Stille,a en a-t-il la prudence?
Point du tout, remarquez son plumet incarnat :b
De stupide qu'il fut, il est devenu fat;
Et jouant l'étourdi, sans jamais pouvoir l'être,
C'est un lourdaud badin qui fait le petit-maître.
Chrysippe, dites-vous, est un homme prudent;
Son fils qui doit partir a l'esprit transcendant,
Son école est le monde, et le père qui l'aime,
Assuré de ses mœurs, l'abandonne à lui-même.
Avec son esprit vif, joint à tant de talents,
Il ne fréquentera que les honnêtes gens
Et les bonnes maisons ... Dites les dangereuses;
Chez l'abbesse Paris et ses religieuses
Votre phénix des fils décemment introduit
De son zèle dans peu recueillera le fruit;
Au pieux exercice ardemment catholique,
Il en emportera Dieu sait quelle relique,
Qui, macérant sa chair, lui fera ressentir
D'un plaisir passager le cuisant repentir.
S'il passe chez l'Anglais, citoyen de taverne,
Impudent, crapuleux, ce cynique moderne
Prendra tous les défauts de cette nation :
Bizarre et singulier par affectation,
Il fera vanité d'étaler sa folie.
Dieu vous garde surtout, pour comble de manie,
Qu'il ne s'avise un jour d'avoir le spleen par goût,


a Voyez l'Éloge du général de Stille, t. VII, p. 33-36, et, ci-dessous, l'Épître IX.

b C'était alors la mode chez les nobles, jeunes et vieux, qui n'étaient pas au service, de porter au chapeau une plume blanche, comme les généraux; à leur exemple, le jeune élégant qui voyage est décoré d'un plumet incarnat.