<255>Qui permet les excès, qui souffre le carnage,
Eût-il même conquis les plus vastes terrains,
Voit ses plus beaux lauriers se flétrir dans ses mains;
La voix de l'univers contre lui réunie,
Oubliant ses exploits, maudit sa tyrannie.
Tilly, qui combattit pour l'aigle des Césars,
De l'éclat de son nom remplit les champs de Mars;
Mais un nuage sombre en obscurcit la gloire,
Son nom fut effacé du temple de Mémoire,
De Magdebourg sanglant les lamentables voix
Éternisent sa honte et non pas ses exploits.a
Guerriers, retracez-vous cette effroyable image :
Si ma main vous dépeint ces meurtres, ce carnage,
C'est pour vous inspirer l'horreur de ces forfaits.
On porte aux habitants des paroles de paix,
Leur foi par cet espoir fut promptement séduite;
Sous le trompeur appât d'une trêve hypocrite,
Tilly les endormit dans les bras du repos;
Morphée avait sur eux répandu ses pavots.b
Sur ce puissant rempart qui l'avait défendue,
La garde mollement sur l'herbe est étendue,
D'autres pour leurs maisons abandonnent leurs forts;
Un fantôme éclatant, sorti des sombres bords,
De l'olive de paix leur présente la tige,
On l'embrasse, on accourt, enfin tout se néglige.
Tout dort, mais Tilly veille; il dispose ses corps,
Il précède l'aurore, il s'approche des forts;
Sur ces puissants remparts privés de leur défense
L'Autrichien cruel monte sans résistance.
Ah! peuple malheureux qu'un fantôme éblouit!
La trahison approche, elle vient, la paix fuit;
La mort, l'affreuse mort paraît dans ces ténèbres,
Et couvre la cité de ses ailes funèbres;


a Voyez, t. I, p. 45-48.

b

Coligni languissait dans les bras du repos,
Et le sommeil trompeur lui versait ses pavots.

Voltaire, la

Henriade

, ch. II, v. 179 et 180.