<162>Que je suis en courroux lorsque certaine altesse
Jusqu'aux chevaux, aux chiens prodigue sa tendresse!
On dirait que pour eux le destin l'agrandit,
De sa folle dépense ils tirent le profit;
Ces chevaux superflus s'engraissent à la crèche,
Tandis qu'abandonné, le pauvre se dessèche;
Il nage dans le luxe, il ne vit que pour lui,
Et c'est un songe vain que le malheur d'autrui.
Cet abus, je l'avoue, à tel point m'importune,
Que j'en ai méprisé les grands et la fortune.
« Vous en êtes surpris? repartit Philémon;
Le monde est inhumain, ingrat et sans raison. »
« Pour moi, depuis longtemps j'appris à le connaître,
Jadis de la Fortune on m'a vu le grand prêtre :
Son temple était rempli de sots adulateurs,
L'univers y venait demander des honneurs.
Le courtisan disait : O puissante déesse!
Donnez-moi du pouvoir, afin que j'en oppresse
Un rival odieux qu'on dit de mes amis.
Le roi lui demandait des esclaves soumis,
Un homme du bel air à mine évaporée
Voulait un grand état, une maison dorée;
Un franc dissipateur exigeait un gros bien,
Pour qu'il eût le plaisir de le réduire à rien;
L'avare lui disait : Déesse salutaire,
Donnez-moi bien de l'or, afin que je l'enterre;
Un comte en se dressant criait avec fierté :
Quand parviendrai-je au rang que j'ai tant mérité?
Je n'aurais jamais fait, si de tant de prières
Je voulais rapporter les phrases singulières;
Bref, aucun ne pensait dans ses bizarres vœux
Au noble et doux plaisir de faire des heureux;
Et ma déesse aveugle, inégale et quinteuse,
Sur l'emploi de ses dons nullement scrupuleuse,
Refusait par travers ou donnait sans raison.
La fortune, lui dis-je, est un cruel poison;
Lorsqu'elle a pu remplir l'esprit de sa chimère,