<129>Mais lorsque de sang-froid, sans haine, sans colère,
Un préjugé cruel que le monde révère
Pour sauver leur honneur oblige deux amis
De combattre en champ clos comme des ennemis,
Qui ne déplorerait qu'un caprice bizarre
Impose à l'honneur même une loi si barbare?
Sont-ce des insensés, sont-ce des furieux
Que ces vengeurs cruels d'un honneur odieux?
Non, c'est un peuple doux, généreux, magnanime.
Qu'un préjugé funeste entraîne dans le crime,
Qui, du ciel partagé d'une rare valeur,
En pervertit l'usage, et la change en fureur.
Arrêtez, malheureux! ayez l'âme attendrie;
Votre sang est trop pur, trop cher à la patrie,
N'en couvrez point la terre où vous vîtes le jour.
Ah! qu'avide de sang l'implacable vautour
Tombe sur la colombe ou sur la tourterelle,
Et, déchirant leur sein de sa serre cruelle,
Disperse dans les bois leurs membres palpitants,
Tous les vautours sont nés pour être des tyrans.
Mais vous, ô Prussiens! vous êtes tous des frères,
Respectez vos foyers, vos pénates, vos pères,
Ces intérêts sacrés qui sont communs à tous;
Arrêtez vos fureurs et suspendez vos coups :
Cette terre, inhumains, qui vous sert de patrie,
Se voit avec horreur de votre sang rougie.
« Verrai-je, ô ciel! dit-elle, égorger mes enfants?
Leurs parricides mains leur déchirer les flancs?
Quel monstre des enfers, quelle affreuse Euménide
Ramène les forfaits que vit la Thébaïde?
Parlez, êtes-vous nés des dents de ce dragon,
Abattu par Cadmus près du mont Cithéron,
Dont le venin semé produisit sur la terre
Un peuple qui périt en se faisant la guerre?
Ne vous ai-je nourris que pour m'abandonner,
Pour trahir votre mère et vous exterminer?
Barbares assassins! si j'ai pu vous produire,