<113>Ainsi pour l'univers il n'est rien de perdu,
Mais Dieu ne descend point jusqu'à l'individu :
Il rit de l'homme vain, qui, rempli de lui-même,
Mécontent de son sort, blâme l'Être suprême.
Eh quoi! la taupe aveugle, en son vil souterrain,
Doit-elle critiquer les palais de Berlin?
Peut-elle apercevoir leur immense étendue?
A sa motte de terre elle borne sa vue.
Maupertuis, l'homme est taupe, étroitement borné,
Par l'instinct de ses sens il se trouve enchaîné,
Ses jugements sont faux, ses lumières trompeuses.
Ce campagnard se plaint que des sources bourbeuses
Coulent par le gagnage à travers ses vallons;
Il accuse les dieux; connaît-il leurs raisons?
Ce marais desséché qui forme sa prairie
A l'utile ruisseau doit son herbe fleurie,
Et ses eaux, serpentant par des détours divers,
Par les bouches d'un fleuve enrichissent les mers.
Tels sont nos préjugés. L'homme, d'un regard louche,
Voit et sent vivement le malheur qui le touche,
Mais il n'aperçoit point dans la totalité
Le bien que son mal fait à la société.
Atome imperceptible, insecte qui murmure,
De quel tort te plains-tu? que te doit la nature?
T'avait-elle promis de troubler l'univers
Pour t'épargner des soins, des peines, des revers?
Étouffe ton orgueil qui te rend misérable,
Et souviens-toi toujours du ciron de la fable.9
Dans l'ordre général par le ciel arrêté,
Un homme, un État même est à peine compté;
Un empire n'est rien, il disparaît dans l'ombre
De ce vaste univers, de ces mondes sans nombre


9 Le Ciron et le Bœuf de La Fontaine. [Cette note est omise dans l'édition de 1760, peut-être parce qu'il n'y a aucune fable dans La Fontaine qui porte ce titre. Il est probable que le Roi a voulu parler du Moucheron et le Bœuf de Phèdre. Voyez t. IX, p. 55.]