<112>Sûr des événements, il laisse aller les choses,
Ce qui nous paraît bien, ce qui nous paraît mal,
Tout concourt en effet à son plan général.
Les lois qu'à la matière imposa sa sagesse
Se bornent au devoir de conserver l'espèce,
Tout ce qui se détruit doit être remplacé.
Ainsi le temps présent répare le passé,
Ainsi nous occupons les places de nos pères,
Les aigles, les vautours engendrent dans leurs aires,
Le Rhin fournit la mer du tribut de ses eaux;
Là naissent des forêts, ici des végétaux,
Leur semence diverse, également féconde,
Alors qu'il dépérit, renouvelle le monde;
Mais leur force inhérente et leur fécondité
Ne produit qu'un seul genre à jamais limité.
Connaissez la nature, attentive à l'espèce.
Nos pertes par ses soins se réparent sans cesse.
Par sa fécondité le monde est maintenu,
Et son sein abondant fournit au superflu :
Elle sait que le gland peut reproduire un chêne,
Mais de ces glands perdus elle n'est point en peine,
Qui tombent les hivers, abattus par les vents,
Et sans multiplier pourrissent dans les champs.
Qu'un déluge en été détruise la semence,
Le grain en d'autres lieux revient en abondance;
Que l'Afrique fournisse aux besoins des Français,
Que les champs des Germains nourrissent les Anglais,
Ces objets, grands pour nous, petits pour la nature,
N'importent point au monde, il poursuit son allure.
Voyez, quand le printemps vient déchaîner les eaux,
Que les torrents saxons font enfler nos ruisseaux,
Dans son cours orgueilleux l'Elbe majestueuse
Étendre sur les prés sa fange limoneuse,
Changer en serpentant la forme de son lit,
Couvrir un de ses bords de son onde qui fuit;
Sans égard au terrain, qu'il soit le mien, le vôtre,
Ce qu'elle prend à l'un, elle le rend à l'autre.