<82> l'hérésie; nous nous contentons d'assurer que la poésie exige le plus grand génie, joint à une imagination vaste, mais réglée.

Je commençais à trembler en voyant les nouvelles règles des géomètres législateurs de la poésie, et je ne craignais pas sans raison qu'il ne leur prît fantaisie de supprimer la rime et d'établir à sa place des chiffres au bout des vers, en valeur de certain nombre de syllabes. Cela les aurait peut-être réconciliés avec la poésie, et ils auraient acquis des droits légitimes sur les vers qu'ils se seraient assujettis par les nombres et les calculs. Mais, heureusement pour nous, cette idée ne leur est pas venue; ils ont la grâce d'approuver la rime et de la trouver même nécessaire à la versification française. Nous sommes humiliés de ce qu'ils promulguent leurs lois si sèchement sans les motiver. Nous devions nous flatter qu'ils auraient employé leur esprit philosophique à examiner si c'est la rime ou le mètre qui rendent nos grands vers monotones. S'il y a quelque chose qui peine à la longue dans la lecture de ces vers, c'est le retour perpétuel de la même cadence, inconvénient auquel il serait facile d'obvier par le mélange de différents mètres. Nous pensions que nos pédagogues auraient fait quelque réflexion physique prise des sens par rapport à la rime, qu'ils auraient justifié le sentiment du plus grand poëte de nos jours. Le peintre et le sculpteur doivent travailler pour les yeux, le poëte et le musicien, pour les oreilles; chaque artiste est adressé au tribunal du sens pour lequel il travaille. C'est donc aux oreilles et non aux yeux à juger de la rime. Mais des géomètres qui prostitueraient leur génie à ces détails croiraient employer la massue d'Hercule pour écraser des cirons. Ces mêmes géomètres prétendent bannir la poésie de la musique et la remplacer par une prose cadencée. Nous avons lieu de croire qu'ils étaient en extase de l'harmonie des sphères célestes quand cette pensée leur est échappée. Ce n'est pas de la prose qu'il faut à la musique, mais, s'il faut le dire, des vers dont les rimes soient toutes