<77>dités métaphysiques, difficiles à deviner que l'esprit humain les enfanterait et en fournirait un système redoutable. Mais voici quelque chose de plus : Leibniz et Newton ont eu l'invention de ce béni calcul infinitésimal presque en même temps. Or, si deux géomètres se rencontrent sur les idées les plus abstraites, si les autres calculent éternellement des courbes, par quel droit nous interdira-t-on de faire usage de la mythologie ancienne? N'y avons-nous pas autant de droit qu'eux au système de Newton ou de Des Cartes? Je le répète, le monde réel et imaginaire est de notre domaine. Faisons usage de tout, en suivant l'exemple de la nature, qui se répète dans ses productions sans s'imiter.

Ah! messieurs les géomètres, que vous êtes de singuliers raisonneurs! Vous ne trouvez point de prise sur Anacréon : vous commencez par rabaisser son genre, et vous finissez par dire que ce doit être un original sans copie. Nous autres poëtes, nous vous demandons humblement pardon de ce que votre tribunal impérieux a si peu d'autorité sur nous. Il faut que quelque nombre vous ait trompé dans ce calcul; car vous permettrez qu'on apprenne à vos grandeurs qu'un certain Chaulieu et un certain Gresset ont heureusement imité cet Anacréon, qu'il y a des choses charmantes dans leurs ouvrages, sur lesquels vous n'avez pas abaissé les yeux, et qu'en un mot vous parlez de nos auteurs comme ceux qui font, de leur cabinet, la description d'une cour où ils n'ont jamais été. La poésie, messieurs, n'est point un art d'imagination, mais d'imitation :

Ut pictura poesis erit.a

Je vous l'ai dit, il faut peindre tous les ouvrages de la nature et les passions de l'âme, mêler la force à la douceur, instruire et plaire. C'est en quoi réussissent les poëtes que la nature a doués de génie et de talent. Et si de mauvais poëtes, comme moi par exemple, ne réussissent pas, cela ne prouve rien contre l'art. Il conserve un caractère


a Horatii Ars poetica, v. 361.