<254>lupté, qui recommande l'impassibilité stoïque. Ce n'était pas ce qu'il devait dire, c'était tout le contraire. Le plus noble effort du sage ne consiste pas à éviter les occasions, mais, quand elles se présentent, à conserver la tranquillité de son âme dans des moments où tout ce qui l'environne soulève et irrite ces différentes passions. Un pilote n'a point de mérite à conduire son vaisseau quand la mer est calme; il en a beaucoup lorsque, après avoir été ballotté longtemps par des ouragans et des vents contraires, il conduit heureusement son navire dans le port. Personne ne fait attention aux choses aisées et faciles, il n'y a que les difficultés vaincues dont on vous tienne compte. « Il vaut donc bien mieux laisser aller le monde comme il va, et ne penser qu'à soi-même. » Ah! monsieur Épicure, sont-ce là des sentiments dignes d'un philosophe? La première chose à laquelle vous devriez penser, n'est-ce pas le bien de l'humanité? Vous osez annoncer qu'un chacun ne doit aimer que soi-même! Un homme qui par malheur suivrait vos maximes ne serait-il pas détesté universellement et avec raison? Si je n'aime personne, comment puis-je prétendre qu'on m'aime? Ne comprenez-vous pas qu'on m'envisagera comme un monstre dangereux, dont il est loisible de se défaire pour maintenir la sûreté publique? Et si l'amitié disparaît, quelle consolation reste-t-il à notre pauvre espèce? Recourons à une allégorie pour nous expliquer plus intelligiblement; comparons un État quelconque avec le corps humain. C'est de l'activité et du concours unanime de toutes ses parties que résultent sa santé, sa force et sa vigueur; les veines, les artères et jusqu'aux nerfs les plus déliés coopèrent à son existence animale. Si l'estomac ralentissait son mouvement péristaltique, si les boyaux ne renforçaient leur mouvement vermiculaire, les poumons leur aspiration, le cœur sa diastole et sa systole, si enfin chaque soupape des artères ne s'ouvrait et ne se fermait selon les besoins de la circulation du sang, si les sucs nerveux ne se portaient aux parties de la contraction nécessaire au mouvement, le corps tomberait en lan-