<290> redevable en quelque manière à l'empereur Adrien, qui établit la discipline militaire; et si les empereurs qui suivirent Sévère ne purent se conserver, le relâchement de la discipline par Sévère en fut cause. Sévère commit encore une grande faute en politique : c'est que, par ses proscriptions, beaucoup de soldats de l'armée de Pescennius Niger se retirèrent chez les Parthes, et leur enseignèrent l'art de la guerre; ce qui, ensuite, porta un grand préjudice à l'empire. Un prince prudent doit non seulement penser à son règne, mais doit prévoir pour les règnes suivants les suites funestes de ses fautes présentes.

On ne doit donc pas oublier que Machiavel se trompe beaucoup lorsqu'il croit que du temps de Sévère il suffisait de ménager les soldats pour se soutenir; car l'histoire de ces empereurs le contredit. Dans les temps où nous vivons, il faut qu'un prince traite également bien tous les ordres de ceux à qui il a à commander, sans faire de différences qui causent des jalousies funestes à ses intérêts.

Le modèle de Sévère, proposé par Machiavel à ceux qui s'élèveront à l'empire, est donc tout aussi mauvais que celui de Marc-Aurèle leur peut être avantageux. Mais comment peut-on proposer ensemble Sévère, César Borgia et Marc-Aurèle pour modèles? C'est vouloir réunir la sagesse et la vertu la plus pure avec la plus affreuse scélératesse.

Je ne puis finir ce chapitre sans faire encore une remarque : c'est que César Borgia, malgré sa cruauté et sa perfidie, fit une fin très-malheureuse, et que Marc-Aurèle, ce philosophe couronné, toujours bon, toujours vertueux, n'éprouva jusqu'à sa mort aucun revers de fortune.