<155> causé en partie ces prodigieuses émigrations des pays du Nord, de ces Goths, de ces Vandales qui inondèrent si souvent les pays méridionaux. On ne connaissait d'art, dans ces temps reculés, en Suède, en Danemark, et dans la plus grande partie de l'Allemagne, que l'agriculture ou la chasse; les terres labourables étaient partagées entre un certain nombre de propriétaires qui les cultivaient, et qu'elles pouvaient nourrir.

Mais comme la race humaine a de tout temps été très-féconde dans ces climats froids, il arrivait qu'il y avait deux fois plus d'habitants dans un pays qu'il n'en pouvait subsister par le labourage, et ces cadets de bonne maison s'attroupaient alors; ils étaient d'illustres brigands, par nécessité; ils ravageaient d'autres pays, et en dépossédaient les maîtres. Aussi voit-on, dans l'empire d'Orient et d'Occident, que ces barbares ne demandaient, pour l'ordinaire, que des champs pour cultiver, afin de fournir à leur subsistance. Les pays du Nord ne sont pas moins peuplés qu'ils l'étaient alors; mais comme le luxe a très-sagement multiplié nos besoins, il a donné lieu à des manufactures et à tous ces arts qui font subsister des peuples entiers, qui, autrement, seraient obligés de chercher leur subsistance ailleurs.

Ces manières donc de faire prospérer un État sont comme des talents confiés à la sagesse du souverain, qu'il doit mettre à usure et faire valoir. La marque la plus sûre qu'un pays est sous un gouvernement sage et heureux, c'est lorsque les beaux-arts naissent dans son sein : ce sont des fleurs qui viennent dans un terrain gras et sous un ciel heureux, mais que la sécheresse ou le souffle des aquilons fait mourir.

Rien n'illustre plus un règne que les arts qui fleurissent sous son abri. Le siècle de Périclès est aussi fameux par les grands génies qui vivaient à Athènes que par les batailles que les Athéniens donnèrent alors. Celui d'Auguste est mieux connu par Cicéron, Ovide, Horace, Virgile, etc. que par les proscriptions de ce cruel empereur, qui doit,