<113> moyennant une certaine taxe qu'ils payent pour l'entretien des troupes qui doivent les défendre, ne vont plus à la guerre. Les soldats ne sont composés que de la plus vile partie des peuples, de fainéants qui aiment mieux l'oisiveté que le travail, de débauchés qui cherchent la licence et l'impunité dans les troupes, de jeunes écervelés indociles à leurs parents, qui s'enrôlent par légèreté : tous ceux-là ont aussi peu d'inclination et d'attachement pour leur maître que les étrangers. Que ces troupes sont différentes de ces Romains qui conquirent le monde! Ces désertions si fréquentes de nos jours dans toutes les armées étaient quelque chose d'inconnu chez les Romains; ces hommes qui combattaient pour leur famille, pour leurs pénates, pour la bourgeoisie romaine, et pour tout ce qu'ils avaient de plus cher dans cette vie, ne pensaient pas à trahir tant d'intérêts à la fois par une lâche désertion.

Ce qui fait la sûreté des grands princes de l'Europe, c'est que leurs troupes sont à peu près semblables, et qu'ils n'ont, de ce côté-là, aucuns avantages les uns sur les autres. Il n'y a que les troupes suédoises qui soient bourgeois, paysans et soldats en même temps;a mais aussi, lorsqu'ils sont à la guerre, presque personne ne reste dans l'intérieur du pays pour labourer la terre. Ainsi leur puissance n'est aucunement formidable, puisqu'ils ne peuvent rien à la longue sans se ruiner eux-mêmes plus que leurs ennemis.

Voilà pour les mercenaires. Quant à la manière dont un grand prince doit faire la guerre, je me range entièrement du sentiment de Machiavel. Effectivement un grand prince doit prendre sur lui la conduite de ses troupes, rester dans son armée comme dans sa résidence; son intérêt, son devoir, sa gloire, tout l'y engage. Comme il est le chef de la justice distributive, il est également le protecteur et le défenseur de ses peuples; il doit regarder la défense de ses sujets


a Voyez t. II, p. 22.