<61> minuté; faute de papier et d'encre, il en apprit les vers par cœur et les retint.

Peu après son élargissement, soulevé contre les indignes traitements et les opprobres dont il avait enduré la honte dans sa patrie, il se retira en Angleterre, où il éprouva non seulement l'accueil le plus favorable du public, mais où bientôt il forma un nombre d'enthousiastes. Il mit à Londres la dernière main à la Henriade, qu'il publia alorsa sous le nom du Poëme de la Ligue. Notre jeune poëte, qui savait tout mettre à profit, pendant qu'il fut en Angleterre, s'appliqua principalement à l'étude de la philosophie : les plus sages et les plus profonds philosophes y florissaient alors. Il saisit le fil avec lequel le circonspect Locke s'était conduit dans le dédale de la métaphysique, et refrénant son imagination impétueuse, il l'assujettit aux calculs laborieux de l'immortel Newton; il s'appropria si bien les découvertes de ce philosophe, et ses progrès furent tels, que, dans un abrégé, il exposa si clairement le système de ce grand homme, qu'il le mit à la portée de tout le monde.b Avant lui, M. de Fontenelle était l'unique philosophe qui, répandant des fleurs sur l'aridité de l'astronomie, l'eût rendue susceptible d'amuser le loisir du beau sexe. Les Anglais étaient flattés de trouver un Français qui, non content d'admirer leurs philosophes, les traduisait dans sa langue; tout ce qu'il y avait de plus illustre à Londres, s'empressait à le posséder; jamais étranger ne fut accueilli plus favorablement de cette nation : mais quelque flatteur que fût ce triomphe pour l'amour-propre, l'amour de la patrie l'emporta dans le cœur de notre poëte, et il retourna en France.

Les Parisiens, éclairés par les suffrages qu'une nation aussi savante que profonde avait donnés à notre jeune auteur, commencèrent à se


a La Henriade parut en 1723, sous le titre de La Ligue, et l'auteur ne se réfugia en Angleterre qu'en 1726.

b Éléments de la philosophie de Newton. 1738.