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ÉLOGE DE VOLTAIRE.2



Messieurs,

Dans tous les siècles, surtout chez les nations les plus ingénieuses et les plus polies, les hommes d'un génie élevé et rare ont été honorés pendant leur vie, et encore plus après leur mort; on les considérait comme des phénomènes qui répandaient leur éclat sur leur patrie. Les premiers législateurs qui apprirent aux hommes à vivre en société; les premiers héros qui défendirent leurs concitoyens; les philosophes qui pénétrèrent dans les abîmes de la nature, et qui découvrirent quelques vérités; les poëtes qui transmirent les belles actions de leurs contemporains aux races futures : tous ces hommes furent regardés comme des êtres supérieurs à l'espèce humaine; on les croyait favorisés d'une inspiration particulière de la Divinité. De là vint qu'on éleva des autels à Socrate, qu'Hercule passa pour un dieu, que la Grèce honorait Orphée, et que sept villes se disputèrent la gloire d'avoir vu naître Homère. Le peuple d'Athènes, dont l'éducation était la plus perfectionnée, savait l'Iliade par cœur, et célébrait avec sensibilité la gloire de ses anciens héros dans les chants de ce poëme. On voit également que Sophocle, qui remporta la palme du théâtre, fut


2 Lu à l'Académie royale des sciences et belles-lettres de Berlin, dans une assemblée publique extraordinairement convoquée pour cet objet, le 26 novembre 1778.