<22> dettes. En second lieu, depuis le XVIIe siècle, l'Europe avait tout à fait changé : la Russie, à laquelle nous voyons jouer un si grand rôle maintenant, était alors inconnue et barbare; la Prusse et le Brandebourg étaient sans énergie; la Suède brillait, et à présent elle est éclipsée. Et d'ailleurs, quels projets peut former un ministre, quand les moyens de les exécuter lui manquent, et que la crainte d'une banqueroute générale l'oblige à se borner aux intrigues, et à écarter toutes les entreprises hardies qui pourraient le tirer de son inaction? Ces obstacles, qu'on ne pouvait lever, sans calmer l'inquiétude de M. de Choiseul, resserraient son génie; et ne pouvant mettre en action les grands ressorts de la politique, il se contentait de tracasser.

Outre la jalousie que donnait à la France l'élection d'un roi de Pologne à laquelle elle n'avait aucune part, à Versailles on ne pouvait pardonner à l'impératrice de Russie d'avoir abandonné la grande alliance, et d'avoir fait une paix séparée avec le roi de Prusse. M. de Choiseul, pour s'en venger, excita contre Catherine les Polonais et les Turcs; il voulait qu'en même temps les Suédois fissent une diversion en Finlande et dans l'Esthonie, et il espérait, par ces différents moyens, d'allumer une guerre contre la Russie, dont il lui serait difficile de sortir avec avantage. Dès lors les émissaires français se répandirent partout : les uns encourageaient les Polonais à défendre leur liberté; les autres couraient à Constantinople exciter la Porte à ne pas voir avec des yeux indifférents le despotisme qu'une puissance voisine exerçait en Pologne; d'autres se rendaient à Stockholm, pour cabaler à la diète, pour changer la forme du gouvernement, et rendre le roi souverain, afin qu'en faveur des Turcs et des Polonais il fît une diversion contre les Russes.

M. de Choiseul, non content de tant d'intrigues, voulait encore détacher le roi de Prusse d'une puissance qu'il espérait d'écraser facilement. A cette fin, il proposa un traité de commerce qui devait être rédigé à Versailles. M. de Guines entama cette négociation à Berlin.