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2. AU BARON DE GRIMM.

Potsdam, 26 septembre 1770.

Il faut convenir que nous autres citoyens du nord de l'Allemagne, nous n'avons point d'imagination; le père Bouhours l'assure,369-a il faut l'en croire sur sa parole. Vous autres voyants369-b de Paris, votre imagination vous fait trouver des rapports où nous autres n'aurions pas supposé les moindres relations. En vérité, le prophète, quel qu'il soit, qui me fait l'honneur de s'amuser sur mon compte me traite avec distinction. Ce n'est pas pour tous les êtres que les gens de cette espèce exaltent leur âme; je me croirai un homme important, et il ne faudra qu'une comète ou quelque éclipse qui m'honore de son attention, pour achever de me tourner la tête. Mais tout cela n'était pas nécessaire pour rendre justice à Voltaire; une âme sensible et un cœur reconnaissant suffisaient; il est bien juste que le public lui paye le plaisir qu'il en a reçu. Aucun auteur n'a jamais eu un goût aussi perfectionné que ce grand homme; la profane Grèce en aurait fait un dieu, on lui aurait élevé un temple. Nous ne lui érigeons qu'une statue, faible récompense pour toutes les persécutions que l'envie lui a suscitées, mais récompense capable d'échauffer la jeunesse et de l'encourager à s'élever dans cette carrière que ce grand génie a parcourue, et où d'autres génies peuvent trouver encore à glaner. J'ai aimé dès mon enfance les arts, les lettres et les sciences, et lorsque je puis contribuer à les propager ou bien à les étendre, je m'y porte avec toute l'ardeur dont je suis capable, parce que dans ce monde il n'y a point de vrai bonheur sans elles. Vous autres qui vous trouvez à Paris dans le vestibule de leur temple, vous qui en êtes les desser<370>vants, vous pouvez jouir de ce bonheur inaltérable, pourvu que vous empêchiez l'envie et la cabale d'en approcher.

Je vous remercie de la part que vous prenez à cet enfant qui nous est né; je souhaite qu'il ait les qualités qu'il doit avoir, et que, loin d'être le fléau de l'humanité, il en devienne le bienfaiteur.

Sur ce, je prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte et digne garde.


369-a Voyez t. XIV, p. 206, et t. XXIII, p. 216.

369-b Allusion au Petit prophète de Böhmischbroda, opuscule satirique de Grimm. Voyez t. XVIII, p. 100 et 259, et t. XXIV, p. 575.