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1. DU BARON DE GRIMM.

Paris, 20 août 1770.



Sire,

Une ancienne prophétie, conservée dans une des caves de la cathédrale de Magdebourg, dont vous êtes l'archevêque par la grâce de Dieu, disait que l'année où le plus grand des rois jetterait un œil favorable sur le plus mince atome de la communion philosophique serait l'époque d'un événement qui assurerait la durée d'une monarchie fondée par le génie et par la gloire, et que l'année où ce grand roi daignerait se réunir à la communion philosophique pour l'érection de la statue de son patriarche367-a serait nommée l'année de l'accomplissement. Personne, Sire, ne comprit rien à cette prophétie difficile, et je suis le premier qui en ait pénétré le sens caché. L'année dernière, V. M. m'accueillit et me combla de bontés au palais de Sans-Souci, et la septième semaine après ce bonheur, la Princesse de Prusse fut bénie et devint grosse. Cette année, V. M. a daigné s'associer à ceux qui élèvent une statue à Voltaire; l'atome est devenu cosouscripteur de Marc-Aurèle-Trajan-Julien Frédéric de Prusse; et immédiatement après la résolution de V. M., nos vœux sont exaucés, et il naît un prince.367-b Tout est clair, tout est accompli; et puis, qu'on s'obstine à douter de l'infaillibilité des prophéties!

Pour rendre gloire à celle que j'ai eu le bonheur d'expliquer le premier, on sera forcé de convenir que, sans l'accueil que j'ai reçu<368> de V. M. au mois de septembre dernier, le ciel n'aurait pas béni la Princesse de Prusse au mois de novembre suivant. et que, sans la souscription de V. M. pour la statue, il serait né une princesse au lieu d'un prince. Telle est la liaison mystique des événements de toutes les Apocalypses anciennes et modernes, et je ne suis pas, Sire, le premier piètre sujet dont le nom ait été nécessaire à l'époque des événements les plus importants et les plus indépendants en apparence de sa chétive existence.

J'ai donc un droit bien légitime de mêler mes acclamations aux acclamations de tous les États prussiens, et de déposer au pied du trône de V. M. le tribut de ma joie, qui s'accroît encore par l'attachement que j'ai depuis longtemps pour madame la Princesse de Prusse et pour sa respectable mère. Je ne puis, Sire, accorder à aucun de vos sujets d'être plus heureux que moi de l'événement qui vient de combler vos vœux, et je me livre sans réserve aux transports les plus éclatants du bonheur que j'éprouve.

Les nouvelles publiques annoncent le prochain voyage de V. M. en Moravie. C'est se rendre à la passion du jeune empereur; c'est le raffermir dans le dessein de suivre les traces du monarque qu'il a choisi pour modèle. Ainsi le règne du grand Frédéric ne sera pas seulement l'orgueil de notre siècle, il deviendra encore le gage de la gloire du siècle suivant.

Je suis avec le plus profond respect.



Sire,

de Votre Majesté
le très-humble et très-obéissant serviteur,
Grimm.


367-a Voyez la lettre de Frédéric à d'Alembert, du 28 juillet 1770, t. XXIV, p. 545 et 540.

367-b Frédéric-Guillaume III. roi de Prusse. Voyez t. VI. p. 25; t. XX, p. 197; et t. XXIV. p. 221, 222 et 519.