137. DE L'ÉLECTRICE MARIE-ANTONIE DE SAXE.

Dresde, 8 octobre 1770.



Sire,

J'ai donc encore vu Frédéric, et cet instant de bonheur a encore disparu! Que de réflexions sur la brièveté des plaisirs et sur la mutabilité des choses, s'il m'était permis de rendre à V. M. de l'ennui pour la satisfaction suprême dont elle m'a comblée! La première fois, Sire, que je vous vis au milieu de votre gloire, l'impression profonde qu'un aussi grand spectacle me laissa pouvait passer chez vous pour un saisissement de mon admiration, à laquelle jamais il ne s'était présenté un objet si frappant. J'avais vu des courtisans, des gardes, des palais et de la magnificence; ce que je n'avais pas vu, Sire, ce qu'on ne voit que chez V. M., c'est un souverain qui, loin de recevoir aucun lustre de l'éclat qui l'environne, en est au contraire la seule et l'unique source, le créateur du temple qu'il habite et qu'il pénètre de sa gloire, et non l'idole qu'encensent les hommes sur les autels qu'ils lui ont élevés. Pardonnez-moi l'image, Sire; je n'en sens que trop la faiblesse; mais tout est faible quand il s'agit d'exprimer les sentiments<229> que V. M. fait éprouver. Je vous ai revu, Sire, je vous ai quitté encore aussi profondément frappée, et peut-être davantage, que lorsque je vous vis l'année dernière. C'est toujours le héros du siècle, et, si les générations futures ne lui donnent un rival digne de lui, le héros de tous les temps, plus grand que toutes les grandeurs qui l'entourent, plus élevé, plus admirable que tout ce qu'il a fait de beau et de merveilleux. Que je me trouve heureuse lorsque je pense que ce héros m'honore de tant de bontés! Tous les moments délicieux que V. M. m'a fait passer à Sans-Souci, les fêtes charmantes dont elle a bien voulu m'y faire jouir, mais, plus que toutes ces fêtes et tous ces amusements, ces instants précieux de la conversation sublime du plus grand des hommes, tout enfin, jusqu'à la lettre obligeante qui a mis le sceau à vos bontés, m'a rendu encore plus pénible un départ qui déjà ne l'était que trop, a confirmé en moi la certitude de mon bonheur, et gravé plus que jamais dans mon âme les sentiments profonds de reconnaissance, d'admiration et de vénération avec lesquels je suis, etc.