136. A LA MÊME.

5 octobre 1770.



Madame ma sœur,

Il est bien douloureux pour moi de voir partir sitôt d'ici une princesse, la gloire de l'Allemagne et la dixième Muse de notre siècle. Mais, madame, cette douleur n'efface pas de mon esprit les sentiments de la reconnaissance la plus vive de ce que V. A. R. a bien voulu perdre dans ma demeure quelques moments de son loisir précieux, dont elle sait faire un si noble usage. Je me le répète toujours, que c'est le comble de la bonté et de l'effort d'un génie supérieur de vouloir bien s'ennuyer dans la compagnie d'un hôte qui, à la vérité, est plein, madame, d'un zèle inviolable et d'un attachement sincère pour la personne de V. A. R., mais qui d'ailleurs sent combien il lui est inférieur dans tout le reste. V. A. R., en tout semblable aux dieux, se contentant de la volonté des hommes, veut bien, par un excès de son indulgence, pardonner aux fautes d'un hôte champêtre qui, peu fait aux formalités, se borne à exprimer comme il<228> peut les sentiments de son cœur. Mais comment les exprimer? Lorsqu'il s'agit de V. A. R., tous les termes sont trop faibles, et l'admiration qu'elle inspire manque de paroles pour se peindre. Je m'humilie devant ses talents supérieurs, j'applaudis à son grand et beau génie; mais, me confiant à sa bonté infinie, c'est à l'abri de cette protectrice que je vous prie, madame, d'agréer encore une fois les assurances de la reconnaissance inaltérable avec laquelle je suis à jamais, etc.