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59. DE D'ALEMBERT.

Paris, 7 août 1769.



Sire,

Me voilà, Dieu merci, parfaitement tranquille, sur la parole de V. M., au sujet des deux seules contrées de l'univers auxquelles je prenne intérêt, celle qui a le bonheur de vous avoir pour souverain, et celle que j'ai l'honneur d'habiter. Après cette assurance, que les catholiques romains dits mahométans et les schismatiques soi-disant tolérants s'égorgent à leur plaisir, je me contenterai de dire un De profundis pour le repos de leurs âmes, sans inquiétude sur les succès de leurs armes et sur les grands événements qui, je crois, n'en résulteront pas. Si l'Alcoran est vainqueur, nous en serons quittes pour croire à la jument Borak.a

Je ne sais pas si les Corses que nous avons envoyés dans l'autre monde y seront mieux que dans celui-ci; mais il me semble que Sertorius Paoli a fait une assez plate fin. On l'accuse d'être un peu poltron; il y a un peu paru par sa conduite, et il faut avouer que c'est un défaut un peu essentiel pour le chef d'une nation qui veut être libre.

On assure que le pape cordelier se fait beaucoup tirer la manche pour abolir les jésuites; je n'en suis pas trop étonné; proposer à un pape de détruire cette brave milice, c'est comme si on proposait à V. M. de licencier son régiment des gardes. Cependant on est, je crois, bien surpris en Espagne, en Portugal et à Naples, que le successeur de saint Pierre dispute à V. M. le droit de conserver les enfants d'Ignace. Cela paraît aussi étonnant dans ces contrées éclairées que l'aventure des deux missels qu'on jeta autrefois au feu pour


a La jument Borak transporta en une nuit le prophète Mahomet de la Mecque à Jérusalem. Voyez le Coran, chap. XVII. - D'Alembert fait allusion à la guerre entre les Russes et les Turcs.