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491. A VOLTAIRE.

Potsdam, 30 juillet 1774.

Je ne me hasarde pas encore à porter mon jugement sur Louis XVI; il faut avoir le temps de recueillir une suite de ses actions; il faut suivre ses démarches, et cela, pendant quelques années. En se précipitant, en décidant à la hâte, on se trompe.

Vous qui avez des liaisons en France, vous pouvez savoir, sur le sujet de la cour, des anecdotes que j'ignore. Si le parti de l'infâme l'emporte sur celui de la philosophie, je plains les pauvres Velches; ils risqueront d'être gouvernés par quelque cafard en froc ou en soutane, qui leur donnera la discipline d'une main, et les frappera du crucifix de l'autre. Si cela arrive, adieu les beaux-arts et les hautes sciences; la rouille de la superstition achèvera de perdre un peuple d'ailleurs aimable, et né pour la société.

Mais il n'est pas sûr que cette triste folie religieuse secoue ses grelots sur le trône des Capets.

Laissez en paix les mânes de Louis XV. Il vous a exilé de son royaume, il m'a fait une guerre injuste; il est permis d'être sensible aux torts qu'on ressent, mais il faut savoir pardonner. La passion sombre et atrabilaire de la vengeance n'est pas convenable à des hommes qui n'ont qu'un moment d'existence. Nous devons réciproquement oublier nos sottises, et nous borner à jouir du bonheur que notre nature comporte.

Je contribuerai volontiers au bonheur du pauvre Morival, si je le puis. Corriger les injustices et faire le bien sont les inclinations que tout honnête homme doit avoir dans le cœur. Cependant ne comptez que zéro le crédit que je puis avoir en France; je n'y connais personne. J'ai vu M. de Vergennes il y a vingt ans, comme il passait pour aller en Pologne, et ce n'en est pas assez pour s'assurer de son