<31> Plus on vieillit, et plus on se persuade que Sa sacrée Majesté le Hasard fait les trois quarts de la besogne de ce misérable univers, et que ceux qui pensent être les plus sages sont les plus fous de l'espèce à deux jambes et sans plumes dont nous avons l'honneur d'être.a

On peut en conscience me pardonner et des solécismes, et de mauvais vers, dans le tumulte et parmi les soins et les embarras dont je suis sans cesse environné.

Vous voulez savoir ce que Néaulme imprime; vous me le demandez, à moi, qui ne sais pas si Néaulme est encore au monde, qui n'ai pas mis depuis près de trois ans le pied à Berlin, qui ne sais que des nouvelles de Fermor, de Daun, de Soubise, de Lantingshausen, et d'une espèce d'hommes dont vous vous souciez très-peu, et dont je serais bien aise de ne pas être obligé de m'informer.

Adieu; vivez heureux, et maintenez la paix dans votre seigneurie suisse, car la guerre de la plume et de l'épée n'ont que rarement d'heureux succès. Je ne sais quel sera mon sort cette année; en cas de malheur, je me recommande à vos prières, et je vous demande une messe pour tirer mon âme du purgatoire, s'il y en a un dans l'autre monde qui soit pire que la vie que je mène en celui-ci.

350. AU MÊME.

Breslau, 21 mars 1759.

Vous ne vous êtes pas trompé tout à fait; je suis sur le point de me mettre en marche. Quoique ce ne soit pas pour des siéges, toutefois c'est pour résister à mes persécuteurs.


a Voyez t. XIX, p. 64 et 176. Frédéric écrivait à Voltaire, le 26 décembre 1737 (t. XXI, p. 145) : « Le hasard est un mot vide de sens. »