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305. A VOLTAIRE.a

(Février) 1752.

J'ai cru d'un jour à l'autre vous voir arriver ici, ce qui m'a empêché de vous remercier plus tôt de l'Histoire de Louis XIV, que j'ai à présent quadruple. Pour bien suivre l'art dont vous avez fait cet extrait, je lis la première partie avec le commentaire de Quincy, ce dictionnaire de batailles et de siéges; et j'attends à votre retour à vous en dire mon sentiment. Mon impatience m'a fait lire le second volume en même temps; et, à vous dire le vrai, je le trouve supérieur au premier, tant par la nature des choses que par le style et cette noble hardiesse avec laquelle vous dites des vérités jusqu'aux rois. C'est un très-beau morceau, et qui doit vous combler d'honneur. La mort de madame Henrietteb fera qu'on jouera votre Rome sauvée plus tard que vous ne l'aviez cru.c Je suis malade depuis huit jours d'un rhume de poitrine et d'une ébullition de sang; mais le mal est presque passé. Je ne fais que lire, je n'écris plus; quand on a la mémoire aussi mauvaise qu'est la mienne, il faut de temps en temps relire ce qu'on a lu pour s'en rappeler l'idée, et pour bien savoir ce qui en vaut la peine. Ensuite de cela, je recommencerai à corriger mes misères. Votre feu est pareil à celui des vestales, il ne s'éteint jamais; le peu qui m'en est tombé en partage veut être attisé souvent, et encore est-il souvent près d'étouffer sous les cendres. Adieu. Ne pensez pas qu'il y ait plus de chênes que de roseaux dans le monde; vous verrez périr bien des personnes à vos côtés, et vous en surpasserez encore plus par votre nom, qui ne périra jamais.


a Cette lettre est tirée du Supplément aux Œuvres posthumes, t. II, p. 383, et nous l'avons corrigée d'après l'autographe, dont feu M. Jean-Guillaume Oelsner, de Breslau, nous avait fourni une exacte copie.

b Anne-Henriette, fille de Louis XV, née en 1727, morte le 10 février 1752.

c Rome sauvée fut représentée à Paris le 24 février.