<51>On m'a assuré que vous étiez amateur de la peinture; c'est ce qui m'a déterminé à vous envoyer la tête de Socrate, qui est assez bien travaillée. Je vous prie de vous contenter de mon intention.

J'attends avec une véritable impatience cette Philosophie et ce poëme qui mènent tout droit à la ciguë. Je vous assure que je garderai un secret inviolable sur ce sujet. Jamais personne ne saura que vous m'avez envoyé ces deux pièces, et bien moins seront-elles vues. Je m'en fais une affaire d'honneur. Je ne peux vous en dire davantage, sentant toute l'indignité qu'il y aurait de trahir, soit par imprudence, soit par indiscrétion, un ami que j'estime, et qui m'oblige.

Les ministres étrangers, je le sais, sont des espions privilégiés des cours. Ma confiance n'est pas aveugle, ni destituée de prévoyance sur ce sujet. D'où pouvez-vous avoir l'épigramme que j'ai faite sur M. La Croze? Je ne l'ai donnée qu'à lui. Ce bon gros savant occasionna ce badinage : c'était une saillie d'imagination, dont la pointe consiste dans une équivoque assez triviale, et qui était passable dans la circonstance où je l'ai faite, mais qui d'ailleurs est assez insipide. La pièce du père Tournemine se trouve dans la Bibliothèque française.a M. La Croze l'a lue. Il hait les jésuites comme les chrétiens haïssent le diable, et n'estime d'autres religieux que ceux de la congrégation de Saint-Maur, dans l'ordre desquels il a été.

Vous voilà donc parti de la Hollande. Je sentirai le poids de ce double éloignement. Vos lettres seront plus rares, et mille empêchements fâcheux concourront à rendre notre correspondance moins fréquente. Je me servirai de l'adresse que vous me donnez du sieur Du Breuil. Je lui recommanderai fort d'accélérer autant qu'il pourra l'envoi de mes lettres et le retour des vôtres.

Puissiez-vous jouir à Cirey de tous les agréments de la vie! Votre bonheur n'égalera jamais les vœux que je fais pour vous, ni ce que


a Ce n'est pas dans la Bibliothèque française, mais dans les Mémoires de Trévoux (octobre 1735, p. 1913), que se trouve la Lettre du R. P. de Tournemine sur la nature de l'âme.