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102. DE VOLTAIRE.

Paris, 18 octobre 1739.

Monseigneur, je renvoie à Votre Altesse Royale le plus grand monument de vos bontés et de ma gloire. Je n'ai de véritable gloire que du jour que vous m'avez protégé, et vous y avez mis le comble par l'honneur que vous daignez faire à la Henriade. Deux véritables amis que j'ai dans Paris ont lu ce morceau de prose, qui vaut mieux que tous mes vers. Ils ont été prêts à verser des larmes, quand ils ont vu qu'à peine il y a une ligne de votre main qui ne parte d'un cœur né pour le bonheur des hommes, et d'un esprit fait pour les éclairer. Ils ont admiré avec quelle énergie V. A. R. écrit dans une langue étrangère. Ils ont été étonnés du goût singulier qu'elle a pour des choses dont tant de nos princes ont si peu de connaissance. Tout cela les frappait, sans doute; mais les sentiments d'humanité qui régnent dans cet ouvrage ont enlevé leur âme. Tout ce qu'ils peuvent faire, c'est de garder le secret sur cette Préface; mais le garder sur le prince adorable qui pense avec tant de grandeur et avec tant de bonté, cela est impossible; ils sont trop émus; il faut qu'ils disent avec moi :

Ne verrons-nous jamais ce divin Marc-Aurèle,
Cet ornement des arts et de l'humanité,
Cet amant de la vérité,
Qui chez les rois chrétiens n'a point eu de modèle,
Et qui doit en servir dans la postérité?

Je n'ai rien fait de nouveau depuis les deux derniers actes de Mahomet. Me voici les mains vides devant mon maître; mais il faut qu'il me pardonne. Tous mes maux m'ont repris. Si mes ennemis, qui m'ont persécuté, savaient ce que je souffre, je crois qu'ils seraient honteux de leur haine et de leur envie; car comment envier un homme dont presque toutes les heures sont marquées par des tour-