<364> mais, en jouissant de ce que nous avons, je regrette un peu ce que nous n'avons pas.

V. A. R. sait sans doute que Bouchardon et Vaucanson font des chefs-d'œuvre, chacun dans leur genre. Rameau travaille à mettre à la mode la musique italienne. Voilà des hommes dignes de vivre sous Frédéric; mais je les défie d'en avoir autant d'envie que moi.

Je suis, avec le plus profond respect et la plus tendre reconnaissance, de V. A. R., etc.

101. A VOLTAIRE.

Remusberg, 10 octobre 1739.

Mon cher ami, j'avais cru avec le public que vous aviez reçu le meilleur accueil du monde de tout Paris, qu'on s'empressait de vous rendre des honneurs et de vous faire des civilités, et que votre séjour dans cette ville fameuse ne serait mêlé d'aucune amertume. Je suis fâché de m'être trompé sur une chose que j'avais fort souhaitée; et il paraît que votre sort et celui de la plupart des grands hommes est d'être persécutés pendant leur vie, et adorés comme des dieux après leur mort. La vérité est que ce sort, quelque brillant qu'il vous peigne l'avenir, vous offre le seul temps dont vous pouvez jouir sous une face peu agréable. Mais c'est dans ces occasions où il faut se munir d'une fermeté d'âme capable de résister à la peur et à tous les fâcheux accidents qui peuvent arriver. La secte des stoïciens ne fleurit jamais davantage que sous la tyrannie des méchants empereurs. Pourquoi? Parce que c'était alors une nécessité, pour vivre tranquille, de savoir mépriser la douleur et la mort.