<360> de la vie, ou qui du moins leur procurent quelques moments de distraction de leurs chagrins? Le plaisir est le bien le plus réel de cette vie; c'est donc assurément faire du bien, et c'est en faire beaucoup, que de fournir à la société les moyens de se divertir.

Il paraît que le monde se met assez en goût des fêtes, car, jusqu'au voisinage de la Nouvelle-Zemble et des mers hyperborées, on ne parle que de réjouissances. Les nouvelles de Pétersbourg ne sont remplies que de bals, de festins et de fêtes qu'ils y font à l'occasion du mariage du prince de Brunswic.a Je l'ai vu à Berlin, ce prince de Brunswic, avec le duc de Lorraine;b et je les ai vus badiner ensemble d'une manière qui ne sentait guère le monarque. Ce sont deux têtes que je ne sais quelle nécessité ou quelle providence paraît destiner à gouverner la plus grande partie de l'Europe.

Si la Providence était tout ce qu'on en dit, il faudrait que les Newton et les Wolff, les Locke, les Voltaire, enfin les êtres qui pensent le mieux, fussent les maîtres de cet univers; il paraîtrait alors que cette sagesse infinie, qui préside à tous les événements, par un choix digne d'elle, place dans ce monde les êtres les plus sages d'entre les humains pour gouverner les autres : mais, de la manière que les choses vont, il paraît que tout se fait assez à l'aventure. Un homme de mérite n'est point estimé selon sa valeur; un autre n'est point placé dans un poste qui lui convient; un faquin sera illustré, et un homme de bien languira dans l'obscurité; les rênes du gouvernement d'un empire seront commises à des mains novices, et des hommes experts seront éloignés des charges. Qu'on me dise là-dessus tout ce qu'on voudra, on ne pourra jamais m'alléguer une bonne raison de cette bizarrerie des destins.

Je suis fâché que ma destinée ne m'ait point placé de manière que je puisse vous entretenir tous les jours, que je puisse bégayer


a Antoine-Ulric, beau-frère de Frédéric. Voyez t. XVI, p. 407.

b Voyez t. XVI, p. 282, et ci-dessus, p. 246.