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6. AU MÊME.

Remusberg, 3 décembre 1736.a

Monsieur, j'ai été agréablement surpris en recevant aujourd'hui votre lettre avec les pièces dont vous avez bien voulu l'accompagner. Rien au monde ne m'aurait pu faire plus de plaisir, n'y ayant aucuns ouvrages dont je sois aussi avide que des vôtres. Je souhaiterais seulement que la souveraineté que vous m'accordez en qualité d'être pensant me mît en état de vous donner des marques réelles de l'estime que j'ai pour vous, et que l'on ne saurait vous refuser.

J'ai lu la dissertation sur l'âme que vous adressez au père Tournemine.b Tout homme raisonnable qui ne peut croire que ce qu'il peut comprendre, et qui ne décide pas témérairement sur des matières que notre faible raison ne saurait approfondir, sera toujours de votre sentiment. Il est certain que l'on ne parviendra jamais à la connaissance des premières causes. Nous qui ne pouvons pas comprendre d'où vient que deux pierres frappées l'une contre l'autre donnent du feu, comment pouvons-nous avancer que Dieu ne saurait réunir la pensée à la matière? Ce qu'il y a de sûr, c'est que je suis matière, et que je pense. Cet argument me prouve la vérité de votre proposition.

Je ne connais le père Tournemine que par la façon indigne dont il a attaqué M. Beausobre sur son Histoire du manichéisme.c Il substitue les invectives aux raisons, faible et grossière ressource qui prouve bien qu'il n'avait rien de mieux à dire. Quant à mon âme, je vous assure, monsieur, qu'elle est bien la très-humble servante de


a Cette lettre est datée du 14 décembre 1737 dans les Œuvres posthumes, t. VIII, p. 323, et du 3 décembre 1736 dans la traduction allemande du même recueil, t. VIII, p. 24.

b Cette dissertation est une lettre adressée au P. Tournemine en 1735, et se trouve dans les Œuvres de Voltaire, édit. Beuchot, t. LII, p. 123.

c Voyez t. XVI, p. 129, et t. XIX, p. 175.