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43. DE VOLTAIRE.

(Cirey) 5 février 1738.

Prince, cet anneau magnifique
Est plus cher à mon cœur qu'il ne brille à mes yeux.
L'anneau de Charlemagne et celui d'Angéliquea
Étaient des dons moins précieux;
Et celui d'Hans Carvel,b s'il faut que je m'explique,
Est le seul que j'aimasse mieux.

V. A. R. m'embarrasse fort, monseigneur, par ses bontés, car j'ai bientôt une autre tragédie à lui envoyer; et, quelque honneur qu'il y ait à recevoir des présents de votre main, je voudrais pourtant que cette nouvelle tragédie servît, s'il se peut, à payer la bague, au lieu de paraître en briguer une nouvelle.

Pardon de ma poétique insolence, monseigneur; mais comment voulez-vous que mon courage ne soit un peu enflé? Vous me donnez votre suffrage : voilà, monseigneur, la plus flatteuse récompense; et je m'en tiens si bien à ce prix, que je ne crois pas vouloir en tirer un autre de ma Mérope. V. A. R. me tiendra lieu du public; car c'est assez pour moi que votre esprit mâle et digne de votre rang ait approuvé une pièce française sans amour. Je ne ferai pas l'honneur à notre parterre et à nos loges de leur présenter un ouvrage qui condamne trop ce goût frelaté et efféminé, introduit parmi nous. J'ose penser, d'après le sentiment de V. A. R., que tout homme qui ne se sera pas gâté le goût par ces élégies amoureuses que nous nommons tragédies sera touché de l'amour maternel qui règne dans Mérope. Mais nos Français sont malheureusement si galants et si jolis, que


a On connaît la tradition relative à l'anneau qui inspirait à Charlemagne une si vive passion pour ceux qui le portaient.
     L'anneau merveilleux d'Angélique, qui la rendait invisible, est connu par le Roland amoureux du Bojardo, et par le Roland furieux de l'Arioste.

b Voyez t. XIV, p. 54.