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26. AU MÊME.

Selowitz, 20 mars 1742.

Mon cher Algarotti, je suis ici dans un endroit qui appartenait au chancelier de cour Sinzendorff. C'est une maison de plaisance extrêmement belle, attachée à un jardin qui aurait été beau, si le maître l'avait achevé, le tout situé aux bords d'une rivière qu'on appelle la Schwarza, et aux pieds d'une montagne que sa fécondité a rendue fameuse parmi les meilleures vignes de ce pays.

Cette rive, toujours au doux repos fidèle,
Semble au bruit du canon étrangère et nouvelle.
Au lieu des voluptés, de la profusion,
Tout s'apprête au carnage, à la destruction.
Ces arbres, qu'une main bienfaisante et soigneuse
Cultivait pour orner cette campagne heureuse,
Sont d'abord destinés pour combler ces fossés
Qu'à Brünn les ennemis autour d'eux ont creusés;
Et ces troupeaux nombreux qui couvraient la prairie
De nos soldats vainqueurs calment la faim hardie;
La vigne se transforme en fagot de sarment,
Et partout en soldat se change le paysan.
Ainsi, lorsque les vents précurseurs des orages
Du nord et du couchant rassemblent les nuages,
Que la tempête gronde et le ciel s'obscurcit,
Le choc des éléments se prépare à grand bruit.

Nous nous attendons dans peu à une bataille qui aura pour objet les intérêts de l'Europe entière divisée. La victoire décidera du sort de l'Empereur, de la fortune de la maison d'Autriche, du partage des alliés, et de la préséance de la France ou des puissances maritimes. Ses influences s'étendront des glaçons de Finlande jusqu'aux vents étésiens de Naples.