<40>J'espère bien que je pourrai vous parler à cœur ouvert à Berlin; je vous dirai à vous seul tout ce que je pense, je suivrai vos avis; mais j'espère aussi que vous m'aiderez de votre crédit, quoique je sache très-bien que le valet de chambre de feu votre père en avait autant que vous. Vous pouvez croire encore combien je serai embarrassé, devant faire l'amoroso peut-être sans l'être, et de goûter à une laideur muette, ne me fiant pas beaucoup au bon goût du comte de Seckendorff sur ce chapitre. Monsieur, encore une fois, que l'on fasse apprendre à cette princesse l'École des maris et des femmes par cœur; cela lui vaudra mieux que le Vrai Christianisme de feu Jean Arndt. Si encore elle voulait toujours danser sur un pied, apprendre la musique, nota benè, et devenir plutôt trop libre que trop vertueuse, ah! alors, mon cher général, alors je me sentirais du penchant pour elle, et un éternel ayant épousé une éternelle, le couple serait accordant; mais si elle est stupide, naturellement je renonce à elle et au diable. Tout dépendra d'elle, et j'aimerais mieux épouser Mlle Jette,a sans avantage et sans aïeux, que d'avoir une sotte princesse pour compagne. L'on dit qu'elle a une sœur qui du moins a le sens commun. Pourquoi prendre l'aînée? La seconde vaut autant qu'elle, et peut-être plus. Sapienti sat. Le Roi peut bien voir cela d'un œil égal, et cela lui peut être parfaitement indifférent. Il y a aussi la princesse Christine-Wilhelmine d'Eisenach,b qui serait tout à fait mon fait, et dont je voudrais bien tâter. Enfin je viendrai bientôt dans vos contrées, où peut-être je dirai comme César : Veni, vidi, vici.

J'ai banni la matière indivisible de mes lettres, et je vous réponds qu'elle n'y rentrera pas; c'était un ouvrage métaphysique et une comparaison poétique qui me l'ont fait enfanter à cet endroit de ma lettre. Aujourd'hui je suis en fête chez le sieur Rohwedell, à


a Une de filles du général. Voyez ci-dessous la lettre de Frédéric à Grumbkow, du 1er mai 1733.

b Née à Altenkirchen, le 3 septembre 1711.