<212> et mes des Champsa chantaient ses éloges dans toutes les gazettes; ô jours heureux! c'est en vain que je rappelle votre mémoire; la main du Temps, armée de son éponge irrévocable, vous a effacés du nombre des êtres, et vous n'existez plus que dans mon cœur. Oui, perfide, c'est dans ce cœur ulcéré que tu es encore profondément gravé, et que l'unique bouleversement de mes murs et de mes tours pourra t'effacer. Si encore tu me quittais, ô le plus volage de tous les amants! pour une beauté supérieure à la mienne, comme celle de Paris, que nous reconnaissons toutes pour la plus parfaite, comme celle de Rome la coquette, de Londres la débauchée, d'Amsterdam la grosse marchande, ou de Vienne la dédaigneuse! Mais tu me quittes pour me préférer qui? une petite gueuse dont le nom même est presque inconnu parmi nous. Je suis aussi outrée que si la Vénus de Médicis se voyait préférer une petite Dubuisson. Ah, cruel! est-ce ainsi que tu oublies la bourse de mon public tant de fois ouverte à ton industrie, les boutiques de mes marchands tant de fois prêtes à se vider pour toi, mes cimetières civils, à te fournir des commodités pour tes luxures, ma Ville-neuve empressée à te procurer des Petites-Maisons, etc., etc., etc.? La douleur me suffoque. Mais du moins aurai-je la consolation que Baireuth ne sera pas mieux traitée que Berlin; et quand mon chagrin aura sapé le fondement de tous mes édifices, que mes habitants, tes créanciers, seront tous morts de faim par les soins que tu as pris de les mettre dans la misère, alors tu pourras lire sur ma tombe ces tristes paroles :

Quand le monde trompeur méprisera tes charmes,
Tu viendras arroser mon tombeau de tes larmes;
Et, les yeux tout en pleurs, tu diras tristement :
C'est toi seule, Berlin, qui m'aimas constamment.


a Voyez t. XIV, p. 323.