<167> curieux d'apprendre comment on faisait le grand lama, et voici à peu près ce que j'ai pu recueillir sur ce sujet. Ils disent que le Tien est séparé en trois parties (jamais, quoi qu'ils aient fait pour me l'expliquer, je n'y ai rien pu comprendre), et qu'une partie du Tien, qu'ils appellent le Saint-Esprit, préside à l'élection du lama, qu'on choisit d'entre septante bonzes qui sont tous rouges comme des écrevisses. Mon Portugais me dit : N'en croyez rien; ce sont quelques rois qui ont beaucoup de crédit, et les intrigues de ces écrevisses, qui font le lama; et quoique la joie de l'être devenu soit près de s'épancher avec emportement, il est obligé de pleurer et de se plaindre du grand fardeau dont on le charge. On le choisit le plus vieux que l'on peut, afin que, bientôt, de ces ambitieux qui aspirent à son poste l'un ou l'autre puisse lui succéder. On a encore une raison plus forte pour les choisir si âgés; c'est pour qu'ils donnent moins de scandale. Dans un vieillard de soixante-dix ans, toutes les passions contraires à la chasteté sont éteintes, il ne reste que l'ambition et l'avarice; mais comme on ne s'en scandalise pas, cela ne fait aucun tort à l'Église. - Mais comment, lui dis-je, toute cette Église, ce culte et ce raffinement de dogmes s'est-il établi? - Pas tout d'un coup, me dit le Portugais. Du commencement, la religion était simple, les bonzes peu puissants, et les vertus éclatantes; depuis, les vices et les superstitions ont été en augmentant; ils ont tenu des assemblées de bonzes qu'on nomme conciles, et chaque concile a fait un nouvel article de foi. Il n'y a point d'absurdité qui n'ait passé par la tête de ces Pères du concile. Dans le temps que l'autorité du lama était portée à son comble, il ne s'en fallut de rien qu'une certaine vierge qu'ils disent mère de Dieu ne devînt déesse et la quatrième personne de la Trinité.a Mais ne voilà-t-il pas un bonze de l'Allemagne qui se révolte contre le lama, qui dessille les yeux des peuples et des princes sur leur imbécile crédulité, et qui forme un parti considérable de frondeurs animés contre


a Voyez t. VII, p. 161.