<253>Je m'éclaire au flambeau que porte ma raison,
Et bravant des censeurs la sotte fantaisie,
Je préfère surtout l'auguste poésie.
Puisque j'en ai tant dit, comparons une fois
Les lauriers d'Apollon et les lauriers des rois.
Nous devons nos transports au seul dieu du génie;
Le hasard qui préside au destin de la vie
Fait au plus grand héros succéder quelquefois
Un stupide fœtus sur le trône des rois,
Qui végète sans vivre, et, des humains l'arbitre,
N'a pour toute vertu que l'enflure d'un titre.
Mais les fils d'Apollon s'élèvent jusqu'aux cieux;
Quand nous osons parler le langage des dieux,
A peine parle-t-il le langage des bêtes;
Des lauriers toujours verts ont couronné nos têtes,
Plus d'un roi par nos chants est devenu fameux,
Notre gloire jamais n'a rien emprunté d'eux;
En vain de notre sort un souverain décide,
Son exil dans le Pont n'avilit point Ovide.
Qu'un prince sans honneur, sur le trône amolli,
Termine sa carrière, il est mis en oubli;
Son nom, dans un bouquin de généalogie,
Pourra servir d'époque à la chronologie;
Ces rois anéantis restent pour toujours morts.
Mais de nos vers heureux les sublimes accords,
Des siècles destructeurs perçant la nuit obscure,
Font passer notre nom à la race future;
Nos durables travaux, victorieux des temps,
Ont vu des plus grands rois périr les monuments :
De la superbe Troie il n'est trace légère,
Quand après trois mille ans nous conservons Homère.