<142>Il apprit de Solon, qui lui prédit son sort,
Qu'on ne peut dire un homme heureux avant sa mort.
Cyrus, qui le vainquit et qui dompta l'Asie,
Perdit bientôt après sa fortune et sa vie,
Une femme12 mit fin à ses destins heureux.
Le vainqueur de Pharsale, entouré d'envieux,
Au sein de la fortune, au sein de la victoire,
Comblé de biens, d'honneurs, de pouvoir et de gloire,
Arbitre des humains et maître du sénat,
Est à Rome immolé par les mains d'un ingrat.
Je pourrais vous citer l'exil de Bélisaire,
Un Frédéric second errant dans la misère,
Ce roi neuf ans heureux et neuf ans fugitif
Que Pierre à Poltawa vit presque son captif.
Oui, tel est notre sort, nos courtes destinées
Sont tristes dans un temps, dans d'autres fortunées;
Faut-il, pour le prouver, échauffant mes poumons,
D'exemples entassés renforcer mes raisons?
Cette instabilité du monde fait l'essence,
N'en faisons-nous pas tous la triste expérience?
Mais un cœur ulcéré, plein d'orgueil et de fiel,
Se révolte tout haut contre l'arrêt du ciel;
Les choses à ses yeux semblent changer de formes,
Il prend des accidents pour des malheurs énormes.
« Passe que le vulgaire éprouve des hasards,
Mais les gens tels que moi méritent des égards, »
Disait un certain homme ennuyé de l'attente
Du bien qu'il espérait par la mort de sa tante.
Varus est mécontent, il ne sait pas pourquoi,
Mais son chagrin le ronge et lui donne la loi.


12 Tomyris.