<109>Tandis que l'aigle atteint le séjour du tonnerre,
La timide Progné vole en rasant la terre;
Ni trop haut ni trop bas prenons un vol moyen,
La prudence le règle et lui sert de soutien.
Non, ne condamnons point cet amour des sciences
Qui remplit notre esprit d'utiles connaissances;
Qu'un sage soit savant, mais loin de s'entêter,
Qu'apprenant à connaître il apprenne à douter,a
Et que de sa raison gouvernant la faiblesse,
Dans son propre néant il puise la sagesse.
Un peu d'or pour un pauvre est un immense bien;
C'est apprendre beaucoup de voir qu'on ne sait rien.
De tous les animaux que l'univers enferme,
Chaque espèce a ses lois, ses limites, son terme;
La nature fixa par ses arrangements
Leurs domaines bornés à certains éléments.
L'homme est ainsi qu'Antée, illustré par la Fable :
Sur terre ce géant fut toujours indomptable,
Mais par Hercule un jour dans les airs élevé,
Perdant son élément il périt étouffé.
Il faut, sage d'Argens, s'enfermer dans sa sphère;
Qui pourrait respirer hors de son atmosphère,
Dans l'orbe de Mercure ou bien de Jupiter?
Le paon périt sous l'eau, le dauphin meurt à l'air.
De même notre esprit, sans tenter l'impossible,
Ne doit jamais sortir hors du monde sensible;
C'est l'orgueil, en un mot, qu'il nous faut étouffer.


a

Vous ne prouvez que trop que chercher à connaître
N'est souvent qu'apprendre à douter.

Madame Deshoulières,

Réflexions diverses

, 1686.