<56>soler ces hommes durs qui ne compatissent jamais aux misères publiques, et à faire sentir quelque mal à ceux qui en font tous les jours. - Ah! monsieur, je vous demande grâce, lui dis-je, pour le genre humain; ne pensez pas qu'il soit aussi pervers que vous vous le figurez. Il est vrai, le vice couvre la terre, mais l'infection n'est pas générale; ne croyez pas que la prospérité soit incompatible avec la vertu; du moins distinguez ... - Je ne distingue rien, repartit-il, tous les hommes sont mauvais, donc je puis tous les attaquer en bonne conscience. - Vous ne l'avez pas délicate, dis-je, à ce qu'il paraît. - Et qui me nourrirait? reprit l'autre; quand j'ai faim, de quoi vivrai-je? Car enfin, de nos jours, il faut faire figure, ou l'on est méprisé; personne ne paye mon silence, mais on paye chèrement mes ouvrages, et je ne travaille que sur le cœur de l'homme. - Quelle chute, m'écriai-je, pour un souverain si despotique, pour ce censeur si craint et si redouté, pour ce juge suprême de tous les grands de la terre! Quoi! Crésus au milieu de ses trésors est à l'aumône! ... - Trêve de badinerie; ma royauté ne me nourrit qu'à mesure que j'en fais les fonctions; je suis, il est vrai, plus absolu que les rois; ils sont les esclaves des lois, ils ne peuvent punir ou récompenser que selon qu'elles le permettent, ils ne peuvent rien pour la gloire, ils ne la donnent ni ne l'ôtent; au lieu que je me rends l'arbitre de l'opinion du public, et que, par l'ascendant que j'ai pris sur lui, il se forme l'idée des personnes selon que je les lui peins, et, de même que les rois, je reçois des subsides que la méchanceté des uns me paye pour révéler la turpitude des autres; cela fait que je taxe les seigneurs et les princes, ils sont mes esclaves, je vends leur nom plus ou moins cher, selon que je trouve des difficultés à ravaler leur mérite; je mets à contribution la haine et l'envie; je ne me borne pas aux particuliers, le trône n'a rien qui m'effraye; tel que vous me voyez, sans trésors et sans troupes, je déclare la guerre aux rois et les attaque, quelque puissants qu'ils soient. - En vérité, vous risquez beaucoup, lui dis-je : la guerre a ses hasards, et vous pourriez un jour essuyer de ces revers que les plus grands capitaines ont éprouvés, être battu à plate couture. - Trêve de plaisanterie, reprit-il; ces princes, ces monarques ne savent pas se servir de mes armes; à peine peuvent-ils signer